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Editorial: Le système du capitalisme sénile financiarisé a une industrie, il produit quelque chose, il produit un homme nouveau, un serf qui paie pour sa servitude et qui en jouit!

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Le point de départ de cette réflexion est une interview d’Emmanuel Todd. Alors que je la relisais dans le cadre de mes réflexions critiques sur la dernière intervention de Macron, je me suis pris à rêver; que se passerait-il si nous organisions de vrais débats politiques, de vrais discussions entre les politiciens et les gens compétents, courageux, désintéressés, des sages ?

Qu’aurait donné une confrontation entre Macron et Todd sur toutes ces thématiques qui ont conduit Macron à des affirmations sans fondement, à des accumulations de contre vérité et à un torrent de mensonges éhontés ce soir la?

Que se passerait-il si les intellectuels cessaient d’aller à la soupe, si les journalistes faisaient leur métier, si les médias restaient à leur place de simples médias, c’est à dire d’intermédiaires?

Ce serait le renouveau, spontané , endogène de nos systèmes, pas besoin de Révolution sanglante.

Nous nous dirigeons vers une longue période de conflits extérieurs et de guerres civiles. Le populisme, la marginalisation des masses, le grand Reset de Davos, la nouvelle collusion corporatiste entre le Capital et les Etats, la kleptocratie/accaparement monétaire, tout cela c’est déjà la guerre , ses prémices et ses symptômes.

.L’Ukraine et Gaza provoquent l’isolement idéologique de l’Occident dans le monde. Le monde n’est pas du tout convaincu que l’Ukraine et Washington ou Israël représentent d’une manière ou d’une autre « la liberté et le progrès », et que Moscou « représente la tyrannie ». Personne ne croit aux valeurs du néolibéralisme mondialiste contemporain, sauf ceux qui en profitent..

Les couches dirigeantes ont jeté le masque quand elles ont , après la chute de l’URSS, proclamé la fin de l’Histoire, elles ont dévoilé leur Projet, leur Agenda; toucher les dividendes de la paix!

Faire en sorte d’arrêter le mouvement de l’Histoire, nier les antagonismes, les contradictions et les limites. Tuer, assassiner les forces de vie. Installer définitivement l’Ordre Bourgeois et donc celui du Business et du Capital. La fin de l’Histoire, quel beau rêve n’est ce pas!

Elles ont considérée qu’elles avaient atteint le grand plateau celui qui allait permettre aux élites de la bourgeoisie de jouir enfin tranquillement de leurs acquis et de leur fortune, plus rien n’allait les empêcher d’accumuler en rond.

Ô temps suspend ton vol ai-je diagnostiqué pour qualifier la période qui a suivi l’écroulement du Mur de Berlin, la Taupe allait cesser de creuser, de saper.

Les couches dirigeantes n’avaient pas prévu que les contradictions , estompées, neutralisées ici, allaient ressusciter ailleurs! Elles n’avaient pas prévu que leur avidité de faire le profit maximum en délocalisant et en globalisant allaient faire monter la Chine, créer de nouvelles rivalités et de nouveaux antagonismes; que le Reste du Monde allait s’éveiller et se réveiller!

Les couches dirigeantes et leurs larbins -et ceci a été clairement énoncé- lors de la prestation de Macron- bref les couches dirigeantes considèrent l’abandon du pouvoir de domination comme le comble de l’irresponsabilitéCela ne peut être; c’est ainsi qu’il faut traduire la phrase: la Russie ne peut pas gagner. La Russie ne doit pas gagner, nous sommes dans l’existentiel; si elle gagnait tout l’échafaudage construit depuis la chute du mur de Berlin s’écroulerait.

La Russie alliée de la Chine ne peut, ne doit pas gagner car ce sera, ce serait, la fin de l’Ordre Unipolaire et de l’Hégémon occidental.

Ce serait la fin de la sécurité « du système néo-liberal pour les riches/socialiste pour les masses » , la fin de l’idéal Fabien, la fin de la domination du capital et du business sur le reste du monde (ROW) ; la fin de ce que le ROW appelle pour simplifier « la colonisation ». Ce serait la fin de la prospérité à crédit, la fin des bulles permises par la création de dollars sans limite, la fin d’une certaine forme d’Imaginaire mondial .

Pour les bourgeois occidentaux conserver le pouvoir à tout prix l’emporte sur toute autre considération, y compris le maintien de l’ancien ordre qui les a amenés au pouvoir ou le maintien d’une Constitution, ou le respect de la Loi et des Grands Principes. Pour conserver le pouvoir, tout est devenu permis, c’est le grand , le colossal « coûte que coûte » qui se décline dans tous les domaines, le politique, l’économique, le financier, le monétaire, la morale, le sociétal ; on va jusqu’au bout y compris maintenant la violence, la guerre ..

Par conséquent, tous les outils – l’argent, la parole, les institutions et les médias – doivent être mis au service de l’application du « nouvel ordre » qui n’est rien d’autre que le retranchement, le refuge de l’ancien ordre au seul profit des classes privilégiées. 

Il faut que tout change pour les pauvres pour que rien ne change pour les riches..

Le soi disant nouvel ordre moderniste à la sauce Macron n’est que que l’expression de cette nécessité, il faut que les classes moyennes et inférieures abandonnent tout pour que les classes ultra supérieures, elles, ne perdent rien.

La conception ancienne de la société et de l’histoire du monde était celle d’une totalité intégrée. Elle offrait une perspective holistiques, capable de rendre compte, plutôt que d’annuler ou de nier, des contradictions au sein de la réalité. La nouvelle conception est celle d’une société désintégrée, qui bannit , qui maudit , qui diabolise ceux qui sont ou qui prétendent être différents; l’éclatement diversitaire domine afin de briser les solidarités . Les contradictions et les oppositions au sein de nos sociétés sont considérées comme dangereuses et comme le signe d’une menace pour l’ordre démocratique. Cet ordre étant bien sûr fasciste et non plus démocratique. Nous renouons en ce moment avec les grandes tendances des années 20 et 30 qui, dans la même situation de limites du capitalisme ont produit sciemment le fascisme, l’alliance corporatiste des cartels et de l’Etat et ensuite la guerre.

Je suis l’un des rares à tenter de vous faire comprendre que la question de la monnaie, de l’argent gratuit de la dette et du levier distribués à une classe sociale est déterminante dans l’agenda de la grande bourgeoisie du capital et du business. Ce n’est pas un hasard si Bernard Arnault qui a commencé avec 10 millions et qui a maintenant peut être 100 ou 200 milliards finance et habille le macronisme!

L’outil de « l’argent gratuit » a facilité l’application de nombreuses choses, mais il a surtout acquis une emprise sur les médias.

La ruée vers « l’argent gratuit » à taux zéro, complété par l’assouplissement monétaire quantitatif ou QE, a été lancée au Japon en 2001. Depuis toutes les banques centrales ont eu recours à l’inflation de la monnaie et du crédit. Le crédit total créé par les banques centrales par le biais de l’assouplissement quantitatif, ou QE, s’élève à plus de 30 000 milliards de dollars. Ce crédit des banques centrales a un très haut pouvoir multiplicateur, par exemple il soutient une dette globale évaluée aux dernières nouvelles à près de 300 trillions!

La politique monétaire, confisquée aux démocraties, remise aux mains des élites ultra riches, est progressivement devenue l’idée déterminante de notre époque. Elle a alimenté les inégalités, elle a bouleversé la politique, elle sert à produire l’homme nouveau, celui qui n’est pas le ringard ou le beauf que stigmatise Macron .

Au cours des 15 dernières années, tous les développements majeurs de l’économie occidentale et des superstructures culturelles ont reposé sur cette politique d’argent quasi gratuit distribué aux déjà très riches : la croissance explosive des médias sociaux et de la Big Tech, le financement de l’IA, le boom immobilier, la gig economie, les crypto-monnaies, les fausses nouvelles, la propagande et le capitalisme dit « éveillé ». Et bien sur les dépenses militaires! Plus besoin d’épargne! Tout est possible grâce à la politique monétaire dite moderne , le beurre, les canons, la fabrication des consensus et maintenant la fabrication des sujets nouveaux..

Des centaines de milliards ont afflué dans le système financier. Ce qui a permis aux classes privilégiées de la finance de prendre le pouvoir. Le monde financiarisé est un monde magique , mais seulement pour une classe sociale, celle qui est près des robinets de distribution!  

La ruée vers « l’argent gratuit » a donné aux Big Tech le pouvoir de racheter des plateformes qui reposaient auparavant sur la vente d’informations. Elles ont été remplacés par des entités qui ne sont redevables qu’aux annonceurs; annonceurs qui ne se soucient que de capter l’attention et d’influencer les gens, les structurer sans qu’ils rendent compte . Ces nouvelles structures, devenues auxiliaires des pouvoirs dominants, ont compris : les mots n’ont plus besoin d’avoir une signification objective . Tout est question d’attention et de répétition. L’argent permet de remplacer le qualitatif par le quantitatif et de détruire le sens. L’argent gratuit, la fausse monnaie ont permis la destruction de la référence que constitue la Verité et il a permis la fausse monnaie politique qu’est devenue le langage, la parole.

L’argent gratuit a libéré , autorisé, validé, et financé la domination de la parole de vos maitres. La pensée critique a été interdite car elle dénotait un ennemi ; une menace à écraser.

Ceux qui sont au pouvoir disent ce qu’ils veulent . La « vérité » derrière le récit est devenue hors de propos. Elle a cessé d’être une référence, seule compte la puissance de diffusion et de répétition , les émotions suscitées, les valeurs ne sont que valeurs d’ambiance sans contenus; ce sont elles qui forment l’opinion et imposent les croyances .

Todd, dit « une guerre moderne sans industrie est un oxymore » .

Vous le savez je suis pessimiste, je suis un pessimiste. Todd dit qu’ »une guerre moderne sans industrie est un oxymore ». Il a peut être raison dans le cadre de la guerre extérieure celle de l’Occident contre le Reste du Monde, mais il a tort s’agissant de la guerre des élites occidentales contre les peuples.

Le système du capitalisme sénile financiarisé a une industrie, il produit quelque chose, il produit un homme nouveau, un serf qui jouit de sa servitude et qui ne rêve lui aussi, comme ses seigneurs que d’une chose : que cela dure.

EN PRIME

Interview de Todd par Alexandre Devecchio, Le Figaro, 12.01.24

LE FIGARO. – Selon vous, ce livre a pour point de départ l’entretien que vous aviez accordé au Figaro il y a tout juste un an, intitulé « La Troisième Guerre mondiale a commencé ». Vous voyez maintenant la défaite de l’Occident. Mais la guerre n’est pas finie…

Emmanuel TODD. – La guerre n’est pas finie, mais l’Occident est sorti de l’illusion d’une éventuelle victoire ukrainienne. Cela n’était pas encore clair pour tout le monde lorsque j’écrivais, mais aujourd’hui, après l’échec de la contre-offensive de cet été, et le constat de l’incapacité des États-Unis et des autres pays de l’OTAN à fournir suffisamment d’armes à l’Ukraine, le Pentagone allait d’accord avec moi.

Mon évaluation de la défaite de l’Occident repose sur trois facteurs.

D’abord la déficience industrielle des Etats-Unis avec la révélation du caractère fictif du PIB américain. Dans mon livre, je dégonfle ce PIB et montre les causes profondes du déclin industriel : l’insuffisance de la formation des ingénieurs et, plus généralement, la baisse du niveau d’éducation, amorcée dès 1965 aux États-Unis.

Plus profondément, la disparition du protestantisme américain est le deuxième facteur de la chute de l’Occident. Mon livre est essentiellement une suite de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, de Max Weber. Il pensait à juste titre, à la veille de la guerre de 1914, que la montée de l’Occident était au cœur de celle du monde protestant – Angleterre, États-Unis, Allemagne unifiée par la Prusse, Scandinavie. La chance de la France était d’être géographiquement proche du peloton de tête. Le protestantisme avait produit un niveau d’éducation élevé, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, une alphabétisation universelle, car elle exigeait que chaque fidèle soit capable de lire lui-même les Saintes Écritures. De plus, la peur de la damnation et le besoin de se sentir choisi par Dieu induisaient une éthique du travail, une forte moralité individuelle et collective. Du côté négatif, cela a conduit à l’un des pires racismes qui aient jamais existé – anti-noirs aux États-Unis ou anti-juifs en Allemagne – puisque, avec ses élus et ses damnés, le protestantisme a renoncé à l’égalité catholique des hommes. Les progrès de l’éducation et de l’éthique du travail ont produit un progrès économique et industriel considérable.

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Aujourd’hui, symétriquement, l’effondrement récent du protestantisme a déclenché un déclin intellectuel, une disparition de l’éthique du travail et une cupidité de masse (nom officiel : néolibéralisme) : ascendant se transformant en chute de l’Occident. Cette analyse de l’élément religieux ne dénote chez moi aucune nostalgie ou lamentation moralisatrice : c’est un constat historique. Par ailleurs, le racisme associé au protestantisme est également en train de disparaître et les États-Unis ont eu leur premier président noir, Obama. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Et quel est le troisième facteur ?

Le troisième facteur de la défaite occidentale est la préférence du reste du monde pour la Russie. Il s’est découvert partout des alliés économiques discrets. Un nouveau soft power russe conservateur (anti-LGBT) battait son plein alors qu’il devenait évident que la Russie supportait le choc économique. Notre modernité culturelle semble en effet assez insensée au monde extérieur, constat fait par un anthropologue et non par un moraliste rétro. Et de plus, alors que nous vivons du travail sous-payé d’hommes, de femmes et d’enfants de l’ancien tiers-monde, notre moralité n’est pas crédible.

Dans ce dernier livre, je souhaite échapper à l’émotion et au jugement moral permanent qui nous enveloppent et proposer une analyse impartiale de la situation géopolitique. Attention à un coming out intellectuel qui approche : je m’intéresse dans mon livre aux causes profondes et à long terme de la guerre d’Ukraine, je pleure la disparition de mon père spirituel dans l’histoire, Emmanuel Le Roy Ladurie, et j’avoue tout : je suis pas un agent du Kremlin, je suis le dernier représentant de l’école historique française des Annales !

Peut-on vraiment parler de guerre mondiale ? Et la Russie a-t-elle vraiment gagné ? Nous sommes plutôt dans une forme de statu quo…

Les Américains chercheront en effet un statu quo qui leur permettrait de cacher leur défaite. Les Russes ne l’accepteront pas. Ils sont conscients non seulement de leur supériorité industrielle et militaire immédiate, mais aussi de leur future faiblesse démographique. Poutine veut certainement atteindre ses objectifs de guerre en économisant la main d’œuvre, et il prend son temps. Il veut préserver les acquis de la stabilisation de la société russe. Il ne veut pas remilitariser la Russie et souhaite poursuivre son développement économique. Mais il sait aussi que des classes démographiquement creuses arrivent et que le recrutement militaire sera plus difficile dans quelques années (trois, quatre, cinq ?). Ainsi, les Russes doivent vaincre l’Ukraine et l’OTAN maintenant, sans leur laisser de répit. Ne nous faisons pas d’illusions. L’effort russe va s’intensifier.

Le refus occidental de considérer la stratégie russe dans sa logique, avec ses raisons, ses forces, ses limites, a abouti à un aveuglement général. Les mots flottent dans le brouillard. Sur le plan militaire, le pire est à venir pour les Ukrainiens et les Occidentaux. La Russie veut sans doute récupérer 40 % du territoire ukrainien, et un régime neutralisé à Kiev. Et sur nos plateaux de télévision, au moment même où Poutine affirme qu’Odessa est une ville russe, nous disons encore que le front se stabilise…

Pour démontrer le déclin de l’Occident, vous vous concentrez sur le taux de mortalité infantile… En quoi cet indicateur est-il révélateur ?

C’est en observant l’augmentation de la mortalité infantile en Russie entre 1970 et 1974, et le fait que les Soviétiques ont cessé de publier des statistiques sur le sujet, que j’ai jugé que le régime n’avait pas d’avenir, dans mon livre La Chute finale (1976). C’est donc un paramètre éprouvé. À cet égard, les États-Unis sont à la traîne par rapport à tous les autres pays occidentaux. Les pays les plus avancés sont la Scandinavie et le Japon, mais la Russie est également en avance. La France s’en sort mieux que la Russie, mais nous commençons à percevoir des signes de reprise. Et de toute façon, nous voilà derrière la Biélorussie. Cela signifie simplement que ce qu’on nous dit sur la Russie est souvent faux : on nous présente un pays en faillite, en mettant l’accent sur ses aspects autoritaires, mais on ne voit pas qu’il est dans une phase de restructuration rapide. La chute a été violente, mais le rebond est étonnant.

Ce chiffre s’explique, mais il signifie avant tout qu’il faut accepter une autre réalité que celle véhiculée par nos médias. La Russie est certes une démocratie autoritaire (qui ne protège pas ses minorités) avec une idéologie conservatrice, mais sa société évolue, devenant hautement technologique avec de plus en plus d’éléments qui fonctionnent parfaitement. Dire cela me définit comme un historien sérieux et non comme un poutinophile. Tout putinophobe responsable aurait dû prendre la mesure de son adversaire. Par ailleurs, je souligne constamment que la Russie a un problème démographique, tout comme l’Occident qu’elle croyait décadent. La législation russe anti-LGBT, même si elle séduit probablement le reste du monde, n’incite pas les Russes à avoir plus d’enfants que nous. La Russie n’échappe pas à la crise générale de la modernité. Il n’existe pas de contre-modèle russe.

Il n’est cependant pas impossible que l’hostilité générale de l’Occident structure et donne des armes au système russe, en suscitant un patriotisme rassembleur. Les sanctions ont permis au régime russe de lancer une politique de substitution protectionniste à grande échelle, qu’il n’aurait jamais pu imposer aux seuls Russes, et qui donnera à leur économie un avantage considérable sur celle de l’UE. La guerre a renforcé leur solidité sociale, mais la crise individualiste existe également en Russie, où les restes d’une structure familiale communautaire ne font que jouer le rôle de modérateur. L’individualisme muant pleinement en narcissisme ne se développe que dans les pays où régnait la famille nucléaire, notamment dans le monde anglo-américain. Osons utiliser un néologisme : la Russie est une société à l’individualisme maîtrisé, comme le Japon ou l’Allemagne.

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Mon livre propose une description de la stabilité russe, puis, vers l’ouest, il analyse l’énigme d’une société ukrainienne en décomposition qui a trouvé un sens à sa vie dans la guerre. Il passe ensuite au caractère paradoxal de la nouvelle russophobie des anciennes démocraties populaires, puis à la crise de l’UE, et enfin à la crise des pays anglo-saxons et scandinaves. Cette marche vers l’ouest nous amène pas à pas au cœur de l’instabilité du monde. C’est une plongée dans un trou noir. Le protestantisme anglo-américain a atteint le stade zéro de la religion, au-delà du stade zombie, et a produit ce trou noir. Aux États-Unis, au début du troisième millénaire, la peur du vide se transforme en déification du rien, en nihilisme.

Parler de la Russie comme d’une démocratie autoritaire n’est-il pas un peu trop flatteur ?

Il faut sortir de l’opposition entre démocratie libérale et autocratie folle. Les premières ressemblent davantage à des oligarchies libérales, avec une élite déconnectée de la population : personne, en dehors des médias, ne se soucie du remaniement à Matignon. D’un autre côté, il faut utiliser un autre concept pour remplacer ceux d’autocratie ou de néostalinisme. En Russie, la majorité de la population soutient le régime, mais les minorités – qu’elles soient homosexuelles, ethniques ou oligarques – ne sont pas protégées : c’est une démocratie autoritaire, nourrie des restes du tempérament communautaire russe qui a produit le communisme. Pour moi, le terme « autoritaire » a autant de poids que le terme « démocratie ».

Vu vos critiques sur la décadence des « oligarchies libérales », on pourrait penser que vous enviez le deuxième modèle…

Absolument pas. Je suis anthropologue : en étudiant la diversité des structures familiales et des tempéraments politiques, j’en suis venue à accepter la diversité du monde. Mais je suis occidental et je n’ai jamais aspiré à être autre chose. Ma famille maternelle a fui aux États-Unis pendant la guerre et j’ai été formée à la recherche en Angleterre, où j’ai découvert que j’étais française et rien d’autre. Pourquoi voulez-vous m’expulser vers la Russie ? Je pense que ce genre d’accusation constitue une menace pour ma citoyenneté française, d’autant plus que, je m’en excuse, né dans l’establishment intellectuel, je fais partie, dans un sens modeste et non financier, de l’oligarchie : avant moi, mon grand-père avait publié chez Gallimard avant la guerre.

Vous associez le déclin de l’Occident à la disparition des religions – du protestantisme en particulier – et vous datez cette disparition des lois sur le mariage homosexuel…

Je n’ai donné aucun avis personnel sur ce sujet sociétal. Je suis simplement un sociologue des religions, trop heureux de disposer d’un indicateur précis pour situer le passage de la religion d’un état zombie à un état zéro. Dans mes livres précédents, j’ai introduit le concept d’un état religieux zombie : la croyance a disparu mais les mœurs, les valeurs et la capacité d’action collective héritées de la religion demeurent, souvent traduites dans un langage idéologique – national, socialiste ou communiste. Mais au début du troisième millénaire, la religion atteint un état de zéro (concept nouveau), que j’entends à travers trois indicateurs – je suis toujours à la recherche d’indicateurs statistiques pour évaluer des phénomènes à la fois moraux et sociaux : Je suis fan de Durkheim, le fondateur de la sociologie quantitative, encore plus que de Weber.

Dans l’état zombie, les gens ne vont plus à la messe, mais ils font toujours baptiser leurs enfants ; la disparition du baptême est aujourd’hui évidente, le stade zéro est atteint. Dans l’état zombie, nous enterrons toujours les morts, obéissant ainsi au rejet de la crémation par l’Église ; aujourd’hui, la généralisation massive de la crémation devient la pratique la plus répandue, la plus pratique et la moins coûteuse, le stade zéro atteint. Enfin, le mariage civil de la période zombie présentait toutes les caractéristiques de l’ancien mariage religieux : un homme, une femme, des enfants à élever. Avec le mariage homosexuel, qui n’a aucun sens d’un point de vue religieux, on sort de l’état zombie, et grâce aux lois sur le mariage pour tous, on peut dater le nouvel état zéro de la religion.

Avec le temps, n’êtes-vous pas devenu un peu réactionnaire ?

J’ai été élevée par une grand-mère qui m’a dit que sexuellement parlant, tous les goûts font partie de la nature et que je suis fidèle à mes ancêtres. Alors, LGB, bienvenue. Pour T, la question trans est autre chose. Les individus concernés doivent bien entendu être protégés. Mais la fixation des classes moyennes occidentales sur cette question ultra-minoritaire soulève une question sociologique et historique. Instaurer comme horizon social l’idée qu’un homme peut réellement devenir une femme et une femme un homme, c’est affirmer quelque chose qui est biologiquement impossible, c’est nier la réalité du monde, c’est affirmer le faux.

L’idéologie trans est donc, à mon sens, l’un des drapeaux de ce nihilisme qui définit désormais l’Occident , cette volonté de détruire non seulement les choses et les gens mais la réalité. Mais, encore une fois, je ne suis ici nullement submergé par l’indignation ou l’émotion. Cette idéologie existe et je dois l’intégrer dans un modèle historique. À l’ère du métaverse, je ne peux pas dire si mon attachement à la réalité fait de moi un réactionnaire.


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