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Un bon texte. «En pleine hystérie fiscale à l’Assemblée Nationale, le consentement à l’impôt se rappelle à notre bon souvenir»

Par Jean-Pierre Robin

Publié hier à 20h42

Pour Laurent Saint-Martin, ministre du Budget et des Comptes publics, «si nous taxons trop, nous briserons le consentement à l’impôt». 

ANALYSE – Quasi-championne mondiale des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, la France se trouve dans l’obligation de faire admettre à sa population de consentir à des financements plus massifs qu’ailleurs.

C’est le fondement même de la démocratie, et notre Constitution se réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (article 14) : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Il est donc légitime d’en rappeler le principe, comme l’a fait à plusieurs reprises ces derniers jours à l’Assemblée nationale Laurent Saint-Martin, le ministre du Budget et des Comptes publics : « Si nous taxons trop, nous briserons le consentement à l’impôt », a-t-il martelé devant le déluge de propositions de nouvelles taxes.

L’expression est tout aussi récurrente sur les lèvres de Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, répétant à l’envi que « le consentement à l’impôt est fragile ». En conclusion d’un sondage Elabe réalisé en mars 2024 selon lequel « 81 % des Français estiment que le montant des impôts et des taxes n’est pas bien utilisé par les pouvoirs publics », l’Institut Montaigne s’inquiète de son côté d’ « un délitement progressif du consentement fiscal ».

Lors des revues semestrielles sur la dette publique, les agences de notation financière ne manquent certes jamais de rendre hommage au fisc français et à sa capacité à « lever l’impôt ». Ce qui implique en même temps une organisation administrative ad hoc et l’acceptation des contribuables eux-mêmes, le bon vouloir des Français. Or rien n’est acquis.

« Sentiment d’équité fiscale »

Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organe indépendant de la Cour des comptes, surveille la situation comme le lait sur le feu. À cet effet le CPO a mis en place un baromètre « de la perception qu’ont les Français des prélèvements fiscaux et sociaux ». Selon le sondage biannuel Harris Interactive-CPO effectué fin 2023, « 75 % des gens pensent que le niveau d’imposition est trop élevé en France », et « 63 % des gens pensent qu’ils paient (personnellement) trop d’impôts »

Se fondant sur les résultats de ce baromètre, le CPO estime que « les principaux déterminants du consentement à l’impôt sont par ordre croissant : la connaissance du système socio-fiscal, le sentiment d’équité fiscale et la satisfaction quant à l’utilisation de l’argent public. »

Le lien social s’efface désormais au profit d’une perception individualisée de l’impôt : qu’est-ce que je paye et quel bénéfice j’en retire ?

Professeur Michel Bouvier, auteur de «L’Impôt sans le citoyen ?» (éd. LGDJ)

Ce dernier point est d’autant plus significatif qu’il s’inscrit dans une évolution profonde de la fiscalité et de son rôle envisagé par les contribuables. Dans son livre, L’Impôt sans le citoyen ? (éditions LGDJ, 2019), le professeur Michel Bouvier oppose ainsi deux conceptions antithétiques : « Le lien social s’efface désormais au profit d’une perception individualisée de l’impôt : qu’est-ce que je paye et quel bénéfice j’en retire ? »

Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau…

Quand il était ministre des Comptes publics, de mai 2022 à juillet 2023, Gabriel Attal avait beaucoup joué sur cette corde. Face au ras-le-bol fiscal qu’il sentait poindre chez les classes moyennes, il s’était adressé au « contribuable-client ». Le site spécialisé En avoir pour son argent, créé à Bercy, explique l’usage des fonds publics, mettant en avant des exemples concrets, le prix d’une année de collège, d’un déplacement en ambulance ou encore d’un accouchement. 

Une telle sensibilisation au coût des dépenses publiques est en soi salutaire, alors que par ailleurs le premier quinquennat Macron a fait croire que l’on pouvait raser gratis.

Une telle sensibilisation au coût des dépenses publiques est en soi salutaire, alors que par ailleurs le premier quinquennat Macron a fait croire que l’on pouvait raser gratis. La suppression de la taxe d’habitation a liquidé le seul lien de citoyenneté financière qui existait au niveau local pour les non-propriétaires. De même la suppression de la redevance audiovisuelle est une illusion : elle a été remplacée par un prélèvement sur la TVA payée par tous les consommateurs.

Le consentement à l’impôt se joue en réalité sur les deux fronts de la fiscalité, celle qui sert à financer les services publics de l’État régalien et les prélèvements obligatoires qui alimentent l’État providence. L’une et l’autre de ces fonctions ont leur logique propre, que les théoriciens de l’administration publique ont parfaitement identifiée. 

D’un côté « la justice fiscale distributive », où chacun contribue à la société en fonction de ce qu’il en retire, selon la conception de l’État définie par le philosophe anglais Thomas Hobbes. De l’autre « une justice fiscale redistributive qui vise à une redistribution des richesses par l’impôt », dont l’un des principaux inspirateurs a été Jean-Jacques Rousseau souligne le professeur Bouvier.

Hausse de l’écotaxe

Quasi-championne mondiale des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, la France se trouve dans l’obligation de faire admettre à sa population de consentir à des financements plus massifs qu’ailleurs. Pour les services publics, cela implique plus particulièrement des impôts indirects (sur les produits achetés) substantiels et impopulaires. 

Preuve en est la révolte des «gilets jaunes » de 2018-2019, dont le déclencheur a été, faut-il le rappeler, une hausse de l’écotaxe sur les carburants finalement retirée. Et cinq ans plus tôt, c’était le mouvement des « bonnets rouges » en Bretagne qui refusaient une taxation routière sur les poids lourds.

S’agissant de la solidarité et de la redistribution des ressources, les impôts sur la personne sont mobilisés. En particulier, mais pas seulement, l’impôt sur le revenu (IR) dont la progressivité est manifeste (10 % des contribuables acquittent 73 % de toute la collecte). 

Au total, le consentement à l’impôt concerne d’une façon ou d’une autre l’ensemble des Français sans exception, pauvres, modestes, aisés ou riches. Avec des formes de mécontentement bien spécifiques. Les manifestations de rue pour les uns et l’exil fiscal pour les autres.

Par Jean-Pierre Robin

Publié hier à 20h42

Pour Laurent Saint-Martin, ministre du Budget et des Comptes publics, «si nous taxons trop, nous briserons le consentement à l’impôt». Adobe Stock

ANALYSE – Quasi-championne mondiale des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, la France se trouve dans l’obligation de faire admettre à sa population de consentir à des financements plus massifs qu’ailleurs.

C’est le fondement même de la démocratie, et notre Constitution se réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (article 14) : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Il est donc légitime d’en rappeler le principe, comme l’a fait à plusieurs reprises ces derniers jours à l’Assemblée nationale Laurent Saint-Martin, le ministre du Budget et des Comptes publics : « Si nous taxons trop, nous briserons le consentement à l’impôt », a-t-il martelé devant le déluge de propositions de nouvelles taxes.

L’expression est tout aussi récurrente sur les lèvres de Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, répétant à l’envi que « le consentement à l’impôt est fragile ». En conclusion d’un sondage Elabe réalisé en mars 2024 selon lequel « 81 % des Français estiment que le montant des impôts et des taxes n’est pas bien utilisé par les pouvoirs publics », l’Institut Montaigne s’inquiète de son côté d’ « un délitement progressif du consentement fiscal ».

Lors des revues semestrielles sur la dette publique, les agences de notation financière ne manquent certes jamais de rendre hommage au fisc français et à sa capacité à « lever l’impôt ». Ce qui implique en même temps une organisation administrative ad hoc et l’acceptation des contribuables eux-mêmes, le bon vouloir des Français. Or rien n’est acquis.

« Sentiment d’équité fiscale »

Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organe indépendant de la Cour des comptes, surveille la situation comme le lait sur le feu. À cet effet le CPO a mis en place un baromètre « de la perception qu’ont les Français des prélèvements fiscaux et sociaux ». Selon le sondage biannuel Harris Interactive-CPO effectué fin 2023, « 75 % des gens pensent que le niveau d’imposition est trop élevé en France », et « 63 % des gens pensent qu’ils paient (personnellement) trop d’impôts »

Se fondant sur les résultats de ce baromètre, le CPO estime que « les principaux déterminants du consentement à l’impôt sont par ordre croissant : la connaissance du système socio-fiscal, le sentiment d’équité fiscale et la satisfaction quant à l’utilisation de l’argent public. »

Le lien social s’efface désormais au profit d’une perception individualisée de l’impôt : qu’est-ce que je paye et quel bénéfice j’en retire ?

Professeur Michel Bouvier, auteur de «L’Impôt sans le citoyen ?» (éd. LGDJ)

Ce dernier point est d’autant plus significatif qu’il s’inscrit dans une évolution profonde de la fiscalité et de son rôle envisagé par les contribuables. Dans son livre, L’Impôt sans le citoyen ? (éditions LGDJ, 2019), le professeur Michel Bouvier oppose ainsi deux conceptions antithétiques : « Le lien social s’efface désormais au profit d’une perception individualisée de l’impôt : qu’est-ce que je paye et quel bénéfice j’en retire ? »

Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau…

Quand il était ministre des Comptes publics, de mai 2022 à juillet 2023, Gabriel Attal avait beaucoup joué sur cette corde. Face au ras-le-bol fiscal qu’il sentait poindre chez les classes moyennes, il s’était adressé au « contribuable-client ». Le site spécialisé En avoir pour son argent, créé à Bercy, explique l’usage des fonds publics, mettant en avant des exemples concrets, le prix d’une année de collège, d’un déplacement en ambulance ou encore d’un accouchement. 

Une telle sensibilisation au coût des dépenses publiques est en soi salutaire, alors que par ailleurs le premier quinquennat Macron a fait croire que l’on pouvait raser gratis.

Une telle sensibilisation au coût des dépenses publiques est en soi salutaire, alors que par ailleurs le premier quinquennat Macron a fait croire que l’on pouvait raser gratis. La suppression de la taxe d’habitation a liquidé le seul lien de citoyenneté financière qui existait au niveau local pour les non-propriétaires. De même la suppression de la redevance audiovisuelle est une illusion : elle a été remplacée par un prélèvement sur la TVA payée par tous les consommateurs.

Le consentement à l’impôt se joue en réalité sur les deux fronts de la fiscalité, celle qui sert à financer les services publics de l’État régalien et les prélèvements obligatoires qui alimentent l’État providence. L’une et l’autre de ces fonctions ont leur logique propre, que les théoriciens de l’administration publique ont parfaitement identifiée. 

D’un côté « la justice fiscale distributive », où chacun contribue à la société en fonction de ce qu’il en retire, selon la conception de l’État définie par le philosophe anglais Thomas Hobbes. De l’autre « une justice fiscale redistributive qui vise à une redistribution des richesses par l’impôt », dont l’un des principaux inspirateurs a été Jean-Jacques Rousseau souligne le professeur Bouvier.

Hausse de l’écotaxe

Quasi-championne mondiale des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, la France se trouve dans l’obligation de faire admettre à sa population de consentir à des financements plus massifs qu’ailleurs. Pour les services publics, cela implique plus particulièrement des impôts indirects (sur les produits achetés) substantiels et impopulaires. 

Preuve en est la révolte des «gilets jaunes » de 2018-2019, dont le déclencheur a été, faut-il le rappeler, une hausse de l’écotaxe sur les carburants finalement retirée. Et cinq ans plus tôt, c’était le mouvement des « bonnets rouges » en Bretagne qui refusaient une taxation routière sur les poids lourds.

S’agissant de la solidarité et de la redistribution des ressources, les impôts sur la personne sont mobilisés. En particulier, mais pas seulement, l’impôt sur le revenu (IR) dont la progressivité est manifeste (10 % des contribuables acquittent 73 % de toute la collecte). 

Au total, le consentement à l’impôt concerne d’une façon ou d’une autre l’ensemble des Français sans exception, pauvres, modestes, aisés ou riches.

Avec des formes de mécontentement bien spécifiques. Les manifestations de rue pour les uns et l’exil fiscal pour les autres.


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